Chronique Regard Critique

13/10/2022

La reine et les oiseaux

Encore un superbe album en provenance de l'éditeur passionné Daniel Maghen avec Celle qui fit le bonheur des insectes, fable orientale aux senteurs d'encens et de peaux dorées, magnifiée par une spectaculaire prestation de Paul Salomone. 
Auteur dévoreur d'une BD franco-belge protéiforme, Zidrou fait partie de ces scénaristes capables d'avoir créé la série lucrative de L'élève Ducobu, d'avoir repris les gags de Léonard ou les aventures des Tuniques bleues, d'annoncer un nouvel album de Ric Hochet, tout en abordant régulièrement des thèmes bien plus adultes comme le trip érotique et SF Eden, le thriller historique Shi, ou le polar très noir Les Brûlures. D'un genre à l'autre, d'un monde à l'autre, et un savoir-faire souvent indéniable mais qui peut encore surprendre, comme ici avec Celle qui fit le bonheur des insectes. Le titre alambiqué mais évocateur met déjà la puce à l'oreille, mais ce nouvel album one-shot prend le risque de donner corps à un conte pour adulte. Conte car le récit s'écoule dans un royaume ancien aux contours indiens, comme un récit inédit de la belle Shahrazade où une méchante reine ferait tuer tous les oiseaux pour combler son chagrin et enfermerait sa fille dans l'une des tours du palais. Pour adulte, car si la douce Jalna finira par retrouver sa liberté et celle de son peuple c'est en s'offrant à un sympathique voleur et en laissant échapper des râles de plaisir qui font penser au chant d'un oiseau. Le récit manie en outre habilement la magie quotidienne d'un ailleurs et un regard profond sur les forces et les faiblesses humaines.

LA PRINCESSE ET LE VOLCAN

Marquée à vie par le décès de son époux lors d'une chasse au tigre, puis par la chute mortelle de son fils, Shikara n'est pas un monstre mais bien une femme emplie d'une douleur confinant à la folie. Un personnage noble, beau, mais tragique puis inquiétant, qui personnifie un deuil impossible, là où sa fille réussira à retrouver la voie de la vie, par le sexe et par l'amour, et entrainera le retour des oiseaux sur ses terres. Un conte teinté d'érotisme, d'humour, de violence parfois, et qui retrouve admirablement l'esprit des récits orientaux et redonne au lecteur l'occasion de savourer les illustrations de Paul Salomone. Un artiste encore bien trop rare et qui signe là seulement sa troisième création après l'excellent L'Homme qui n'aimait pas les armes à feu et Des Plumes & Elle dont il s'était également chargé du texte. D'ailleurs Celle qui fit le bonheur des insectes lui aura demandé deux ans de travail et de recherches, pour aboutir à un voyage exotique riche et troublant, de somptueux décors, des atmosphères enivrantes, tout en préservant son trait qui mêle un doux réalisme avec une petite dose plus expressive héritée des saints patrons franco-belges. Une belle réussite que l'éditeur Daniel Maghen propose en deux éditions, une en noir et blanc à tirage limité et une autre en couleurs. On ne saurait que trop conseiller cette dernière, tant la colorisation en aquarelles signée par Salomone apporte une vraie lumière au récit, soulignant la luxuriance du royaume, l'explosion de teintes d'une nature fantaisiste, la chaleur de lieux baignés par un soleil radieux, la sensualité délicieuse de séquences intérieures. Superbe tout simplement.

Nathanaël Bouton-Drouard

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