Article La Ribambulle

29/04/2025

Dans la froideur du plus bel hiver de mémoire de Jardin du Luxembourg, seuls les mannequins des vitrines de lingerie fine osent se dénuder. C'est le cas de Toinette qui « travaille » chez Divine depuis 1920 et présente le meilleur en matière de lingerie fine que la responsable de magasin, Madame Ledoyen, aime appeler « le papier d'emballage de l'amour ». En cette année 1958, Toinette assiste à une drôle de situation. La livraison de la collection Printemps-Été est compromise par un accident de la circulation un peu étrange. Le grand patron, Séraphin Lafitte, est donc obligé de venir travailler un jeudi pour faire le point avec son fournisseur belge. Chose qui surprend toute l'équipe : Madame Ledoyen, Brigitte la vendeuse, Aline la dactylo, Augustin le modiste, Monsieur Garnier et Ève la femme de ménage qui a eu la grande idée d'amener son fils. Il faut savoir que Monsieur Séraphin a horreur de deux choses : le retard et les enfants. Il ne lui en fallait pas moins pour piquer une colère encore plus grande. À la suite à ce coup d'éclat, un petit incident survient dont la conséquence est la découverte par inadvertance d'un secret concernant le patron que même Toinette ne connaît pas !

Loin de nous l'idée de vous dévoiler quel est ce secret imaginé par Zidrou (Boule à zéro) et placé dans cette divine comédie afin d'évoquer un sujet assez délicat – dont on parle rarement – qui encore aujourd'hui fait des ravages dans la société. Ce contraste plaisait suffisamment au scénariste pour créer La Crevette, une bande dessinée qui est à la fois une histoire d'amour, une comédie romantique cassant les codes, passant outre les classes sociales, et une ode aux corps féminin et masculin qui ne sont pas dans les soi-disant normes. Comme vous pourrez le constater, c'est le cas de Séraphin Lafitte mais aussi d'Aline, mais nous n'en dirons pas plus. Sans surprise, l'ensemble est écrit avec une subtilité et un humour d'une finesse sans communes mesures par un Zidrou au sommet de son Art. Mention spéciale pour le choix de la narratrice qui est d'une originalité folle : Toinette, une des mannequins de la vitrine ! Le choix du contexte et de l'époque (années 50 sur fond de musique française et de rockabilly) est également très judicieux et se révèle être du fait de Paul Salomone (Celle qui fit le bonheur des insectes) qui se facilite ainsi la tâche. La douceur du trait et les aquarelles du dessinateur confèrent à chacune des planches un côté suranné qui colle à merveille au récit. D'ailleurs, certaines teintes font penser à un spécialiste de la période, Raives.

Une excellente et ultra fraîche romance dessinée qui met le doigt là où ça fait mal !

Stéphane Girardot

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