Article de Comixtrip

03/04/2025

La crevette est une comédie drôle et sérieuse qui met en avant la thématique de la différence des corps. Au masculin comme au féminin, l'amour ne se mesure pas…

DANS LA FROIDEUR D'UN HIVER PARISIEN

Il fait vraiment très froid en cet hiver 1958 à Paris. Un hiver « à rallonge » avec de la neige « en villégiature dans la capitale », où seuls les mannequins des vitrines osent encore se dénuder. Et c'est là, justement, chez Divine, une boutique de lingerie fine, que va se dérouler la belle histoire de La Crevette, un one-shot de 96 pages proposé par le tandem Zidrou ( scénario) et Salomone(Dessin). Ils signent ici pour le Lombard leur deuxième collaboration. Une réussite.

SI LES MANNEQUINS POUVAIENT PARLER

Dans l'atmosphère soyeuse et froufroutante du magasin, les auteurs font évoluer une foule de personnages insolites et attachants, au premier rang desquels on compte Aline, jeune et jolie dactylo. Elle travaille pour le compte du patron de la boutique, Monsieur Séraphin, dandy colérique détestant « les enfants et le retard ».

Autour de ce couple gravitent d'autres personnages hauts en couleur, comme cette Madame Ledoyen, la gérante, friande de punch lines comme » la lingerie fine, c'est le papier d'emballage de l'amour « ou encore, « une jeune femme en sous-vêtements tapera toujours plus fort dans l'œil du client qu'un boxeur en short ! ».

Bref, dans cette France des années 50 où les rôles de chacun semblent définis une fois pour toutes, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Jusqu'au jour où…

CE QU'ELLE N'AURAIT PAS DÛ VOIR

Mais voilà, un jour qu'Aline se rend aux toilettes, elle y surprend son patron assis sur la cuvette et devine son anatomie. Ce dernier est semble-t-il doté d'un micro pénis. A partir de cette situation scabreuse, les auteurs donnent un second élan à leur histoire. On comprend ainsi maintenant à quoi peut bien faire référence cette étrange crevette… Au fil des pages, le lecteur assiste à la naissance d'une histoire entre ces deux-là, le patron et son employée. Car si lui est bien mal pourvu, elle aussi finira par confier que son anatomie, en l'occurrence sa maigre poitrine, ne correspond pas non plus tout à fait aux canons de la beauté en vigueur à l'époque.

ÉLOGE DE LA DIFFÉRENCE

Entre Séraphin et Aline, tous deux complexés par leur anatomie, l'amour va s'interposer. Chacun va bientôt s'affranchir de ce complexe idiot, façonné par les injonctions d'une société qui considérait la diversité des corps comme une anormalité. Alors, au-delà de ce qui pourra d'abord paraître comme une comédie légère, cette Crevette aborde bien des thèmes, toujours actuels. Elle nous dit que la différence, les différences, bien loin de nous éloigner, peuvent aussi parfois rapprocher les êtres et les enrichir.

Évitant le double écueil de la lourdeur et de la grivoiserie mal placée, les auteurs font ici un bel éloge de la différence. Qu'importe les seins trop gros ou trop menus ou la taille d'un pénis, pourvu que les corps exultent!

Le dessin semi réaliste à l'aquarelle de Paul Salomone fait merveille. Les dialogues drôles et enlevés de Zidrou font le reste. Une lecture agréable qui sait allier sourire et réflexion…

Article posté le jeudi 03 avril 2025 par Jean-Michel Gouin